Comme évoqué à l’article précédent, la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 vient d’instituer la SFA, ou « sauvegarde financière accélérée », qui entrera en vigueur le 1er mars 2011.
A mi-chemin entre les procédures amiables et collectives de traitement des difficultés des entreprises, ce nouveau dispositif devrait permettre aux dirigeants d’accélérer la restructuration financière de leur entreprise sans perturber son activité commerciale puisque les fournisseurs n’en seront pas affectés.
Les conditions d’ouverture de cette SFA sont toutefois assez restrictives : primo, l’entreprise doit déjà bénéficier d’une procédure de conciliation entamée avec ses créanciers financiers (établissements de crédit, créanciers obligataires, etc.) ; secundo, ne pas se trouver en état de cessation des paiements (ce qui n’est pas le cas en matière de conciliation) ; tertio, être dotée de comités de créanciers (obligatoires au-delà de 150 salariés ou de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires) ; quarto, avoir obtenu le soutien de la majorité qualifiée (2/3) des créanciers financiers sur son plan.
Sa durée limitée dans le temps - un mois renouvelable une seule fois - implique que la SFA servira en fait principalement à obtenir et enregistrer l’adhésion de créanciers minoritaires récalcitrants à un accord de conciliation préalablement négocié.
Cette réforme est cependant novatrice car elle va à l’encontre d’un des principes fondamentaux du droit des procédures collectives, à savoir l’égalité de traitement des créanciers.
L’accueil des établissements de crédit, déjà généralement hostiles à la sauvegarde classique, ne sera sans doute pas des plus favorables à la SFA puisque ce dispositif leur imposera le gel de leurs créances alors les autres créanciers de l’entreprise (fournisseurs, Trésor, organismes sociaux, etc.) continueront d’être payés dans les conditions habituelles.
Si la volonté initiale du législateur, telle qu’elle résulte de son projet soumis à consultation en août dernier, était de faciliter par la loi le sauvetage des PME, on assiste finalement à la mise en place un « prepack plan » issu tout droit du Chapter 11 américain et destiné à préserver l’exploitation d’entreprises d’une certaine taille ayant fait l’objet de montages financiers audacieux, voire dangereux, au cours des dernières années.
On peut penser, en outre, que cette SFA tendra encore un peu plus les relations difficiles entre les fonds d’investissements et les banques, ces dernières pouvant être de plus en plus tentées de convertir leurs créances en titres de capital.
La vacance de la direction d’une entreprise, si elle s'accompagne de dissensions entre associés paralysant la désignation d'un nouveau dirigeant, peut l’exposer à un risque fatal. Dans ces circonstances, il est d’usage qu’un administrateur provisoire soit désigné en justice, par exemple à la demande des actionnaires. Il est extraordinaire, en revanche, que, pour prévenir d’éventuelles difficultés à venir liées à des décisions de gestion passées, un comité d’entreprise saisisse un juge en vue d’obtenir la nomination d’un administrateur provisoire chargé d’exercer le pouvoir aux lieu et place des dirigeants en place. C’est pourtant ce qui est arrivé, courant 2009, à une association exploitant des centres de santé et employant de nombreux salariés.
En l’espèce, son comité d’entreprise s’alarmait de certains actes de gestion qu'il estimait contraires à l'intérêt de l'association. Fort d’un rapport d’expertise comptable qui stigmatisait ces actes, du déclenchement de la procédure d’alerte et prétextant, au surplus, un délit d’entrave, le comité avait alors, par simple requête soutenue sans débat contradictoire, obtenu la nomination d'un administrateur provisoire, privant ainsi instantanément les organes sociaux de toutes leurs prérogatives. Plus étonnant encore, le juge avait accepté d’étendre la mission de l’administrateur à la refonte des statuts de l’association en vue de l’ouvrir à des nouveaux membres et installer un conseil d’administration supposé « plus démocratique ». En déboulonnant la direction avec l’aide de la justice, le comité visait en fait à permettre aux organisations syndicales d’accéder au futur conseil d’administration de l'association et in fine à y instaurer une forme de cogestion.
Saisi en référé par le président évincé, le juge refusa de revenir sur son ordonnance au motif, de pure procédure, que l’administrateur provisoire avait désormais seul qualité à agir au nom de l’association ! Heureusement, par un arrêt du 12 mai 2010, la Cour d’appel de Paris mit un terme à cette parodie en prononçant la rétractation de cette décision et, par conséquent, l’annulation de la mission de l’administrateur provisoire, jugeant que rien ne justifiait en l’occurrence que le principe du contradictoire n’ait pas été respecté.
Formellement, la nomination d’un administrateur provisoire est généralement demandée devant le juge des référés dont la compétence, comme le prévoit le code de procédure civile, est fondée sur l’urgence, la nécessité de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite. En la matière, la preuve de l’existence d’un risque de dommage imminent est toujours exigée. On peut parfois admettre qu’il n’y ait pas de débat, le juge saisi sur requête devant alors prendre le soin de vérifier que la mesure demandée nécessite bien qu’il soit dérogé au principe du contradictoire et du respect des droits de la défense. Tel n’était manifestement pas le cas ici.
Sur le fond, cette affaire posait cependant deux problèmes qui n’ont pas été franchement tranchés, l’irrégularité de la procédure ayant fourni à la Cour un motif suffisant pour prendre sa décision de rétractation. Le premier, courant, concernait la justification de la mesure de désignation d’un administrateur provisoire ; le second, plus original, celui de la qualité et de l’intérêt à agir du comité d’entreprise.
La jurisprudence habituelle de la Cour de cassation subordonne la nomination d’un administrateur provisoire à la double condition que les circonstances rendent impossible le fonctionnement normal de la société et menacent celle-ci d’un péril imminent. Un tel dysfonctionnement se rencontre notamment lorsqu’il ne peut être pourvu au remplacement des dirigeants selon les modalités légales ou statutaires ; encore faut-il que la société (ou ici de l’association) soit confrontée à un péril imminent en résultant.
A l’aune de cette formulation, la nomination d’un administrateur provisoire doit donc demeurer exceptionnelle puisqu’elle a pour effet de substituer un mandataire de justice aux organes sociaux légitimes. Si une solution alternative existe pour rétablir la gouvernance régulière de l’entreprise, telle que l'intervention d'un mandataire ad hoc chargé d’une mission limitée comme la convocation d’une assemblée générale, elle doit être préférée. En outre, une mesure d’administration provisoire ne peut se comprendre que si la crise de gouvernance est temporaire et surmontable. Dans le cas contraire, la pérennité même de la société serait en cause et sa dissolution à l’ordre du jour.
S’agissant du deuxième problème, la Cour d’appel de Paris n’a pas explicitement écarté le comité d’entreprise de la liste des demandeurs recevables à la nomination d’un administrateur provisoire. Or, le comité d’entreprise ne tient d’aucune disposition légale le pouvoir d’exercer une action en justice lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause. La mission du comité est d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise. Elle lui vaut d’être « informé et consulté » sur les mesures de nature à affecter les effectifs, la durée ou les conditions de travail. Régulièrement informé et consulté, le comité ne dispose pas du pouvoir d’agir sur des décisions de gestion qui ne relèvent, selon la doctrine travailliste classique, que du chef d’entreprise. Ainsi, le comité d’entreprise s'est notamment vu refusé le droit de demander l'annulation de décisions adoptées par l'assemblée générale d’une mutuelle d'entreprise.
Comment, dès lors, interpréter la décision du 12 mai 2010 ? Faut-il y voir l’amorce d’une évolution prétorienne du droit du travail vers la possibilité donnée aux salariés de choisir ou de changer leurs dirigeants sous couvert d’entrave et d’atteinte, réelle ou supposée, à l'intérêt social ? Si tel est le cas, la marche sera sans doute encore longue et difficile.
Le sort du cautionnement donne toujours lieu à un abondant contentieux dans le domaine des procédures collectives. En voici une nouvelle illustration résultant d’un arrêt récent de la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendu sous l’empire de la loi de sauvegarde qui, contrairement à ce que prévoyait la législation antérieure, ne sanctionne plus l’absence d’admission d’une créance par son extinction, mais seulement par son inopposabilité. Selon l’article L.622-26 du code de commerce, « à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste [des créanciers]. » Le cautionnement n’est donc pas plus éteint que la créance elle-même et, sous réserve de la situation particulière de la période d’observation et du plan de sauvegarde, le créancier dont la créance n’est pas admise peut néanmoins poursuivre la caution.
Dans le cas d’espèce, une SCI, propriétaire d’un immeuble loué à une société commerciale mise en liquidation judicaire, avait omis de déclarer sa créance de loyers impayés entre les mains du liquidateur dans le délai légal et n’avait pas été relevée de la forclusion ; elle demanda néanmoins aux cautions solidaires de payer et obtint gain de cause par un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 12 août 2009 ; les cautions formèrent alors un pourvoi contre cette décision, lequel fut rejeté par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 juillet 2011.
Les arguments des cautions ne manquaient pourtant pas de pertinence. Elles soutenaient que, faute d'avoir déclaré sa créance au passif du débiteur principal, la SCI n’était pas fondée à agir contre elles puisque les cautions peuvent se prévaloir de toute exception inhérente à la dette ; l'article L. 622-26 prévoyant que les créanciers forclos ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes, les cautions se trouvent déchargées en vertu de l’article 2314 du code civil dès lors qu’elles ne peuvent plus, du fait du créancier étourdi, bénéficier de la subrogation dans son droit exclusif ou préférentiel lui conférant un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance. On sait en effet que, selon ce texte, « la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution », toute clause contraire étant réputée non écrite.
La Courde cassation a adopté, en l’occurrence, un raisonnement différent. Après avoir rappelé que la sanction d’inopposabilité prévue par l'article L. 622-26 ne constitue pas une exception inhérente à la dette susceptible d'être invoquée par la caution pour se soustraire à son engagement, elle ajoute que si la caution est déchargée lorsque la subrogation ne peut plus, par le fait du créancier, s'opérer en sa faveur, encore faut-il que la caution puisse tirer un avantage effectif de la subrogation dans les répartitions et dividendes. Or tel n’aurait pas été le cas en l’espèce où le liquidateur avait lui-même écrit que les créanciers chirographaires de la société liquidée ne seraient pas réglés, si bien que la subrogation n’aurait eu aucun effet utile pour les cautions…
Ne doutons pas qu’en apportant cette précision concrète qui semble s’éloigner du principe posé par la lettre de l’article 2314 du code civil, cet arrêt appellera de nombreux commentaires.