La vacance de la direction d’une entreprise, si elle s'accompagne de dissensions entre associés paralysant la désignation d'un nouveau dirigeant, peut l’exposer à un risque fatal. Dans ces circonstances, il est d’usage qu’un administrateur provisoire soit désigné en justice, par exemple à la demande des actionnaires. Il est extraordinaire, en revanche, que, pour prévenir d’éventuelles difficultés à venir liées à des décisions de gestion passées, un comité d’entreprise saisisse un juge en vue d’obtenir la nomination d’un administrateur provisoire chargé d’exercer le pouvoir aux lieu et place des dirigeants en place. C’est pourtant ce qui est arrivé, courant 2009, à une association exploitant des centres de santé et employant de nombreux salariés.
En l’espèce, son comité d’entreprise s’alarmait de certains actes de gestion qu'il estimait contraires à l'intérêt de l'association. Fort d’un rapport d’expertise comptable qui stigmatisait ces actes, du déclenchement de la procédure d’alerte et prétextant, au surplus, un délit d’entrave, le comité avait alors, par simple requête soutenue sans débat contradictoire, obtenu la nomination d'un administrateur provisoire, privant ainsi instantanément les organes sociaux de toutes leurs prérogatives. Plus étonnant encore, le juge avait accepté d’étendre la mission de l’administrateur à la refonte des statuts de l’association en vue de l’ouvrir à des nouveaux membres et installer un conseil d’administration supposé « plus démocratique ». En déboulonnant la direction avec l’aide de la justice, le comité visait en fait à permettre aux organisations syndicales d’accéder au futur conseil d’administration de l'association et in fine à y instaurer une forme de cogestion.
Saisi en référé par le président évincé, le juge refusa de revenir sur son ordonnance au motif, de pure procédure, que l’administrateur provisoire avait désormais seul qualité à agir au nom de l’association ! Heureusement, par un arrêt du 12 mai 2010, la Cour d’appel de Paris mit un terme à cette parodie en prononçant la rétractation de cette décision et, par conséquent, l’annulation de la mission de l’administrateur provisoire, jugeant que rien ne justifiait en l’occurrence que le principe du contradictoire n’ait pas été respecté.
Formellement, la nomination d’un administrateur provisoire est généralement demandée devant le juge des référés dont la compétence, comme le prévoit le code de procédure civile, est fondée sur l’urgence, la nécessité de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite. En la matière, la preuve de l’existence d’un risque de dommage imminent est toujours exigée. On peut parfois admettre qu’il n’y ait pas de débat, le juge saisi sur requête devant alors prendre le soin de vérifier que la mesure demandée nécessite bien qu’il soit dérogé au principe du contradictoire et du respect des droits de la défense. Tel n’était manifestement pas le cas ici.
Sur le fond, cette affaire posait cependant deux problèmes qui n’ont pas été franchement tranchés, l’irrégularité de la procédure ayant fourni à la Cour un motif suffisant pour prendre sa décision de rétractation. Le premier, courant, concernait la justification de la mesure de désignation d’un administrateur provisoire ; le second, plus original, celui de la qualité et de l’intérêt à agir du comité d’entreprise.
La jurisprudence habituelle de la Cour de cassation subordonne la nomination d’un administrateur provisoire à la double condition que les circonstances rendent impossible le fonctionnement normal de la société et menacent celle-ci d’un péril imminent. Un tel dysfonctionnement se rencontre notamment lorsqu’il ne peut être pourvu au remplacement des dirigeants selon les modalités légales ou statutaires ; encore faut-il que la société (ou ici de l’association) soit confrontée à un péril imminent en résultant.
A l’aune de cette formulation, la nomination d’un administrateur provisoire doit donc demeurer exceptionnelle puisqu’elle a pour effet de substituer un mandataire de justice aux organes sociaux légitimes. Si une solution alternative existe pour rétablir la gouvernance régulière de l’entreprise, telle que l'intervention d'un mandataire ad hoc chargé d’une mission limitée comme la convocation d’une assemblée générale, elle doit être préférée. En outre, une mesure d’administration provisoire ne peut se comprendre que si la crise de gouvernance est temporaire et surmontable. Dans le cas contraire, la pérennité même de la société serait en cause et sa dissolution à l’ordre du jour.
S’agissant du deuxième problème, la Cour d’appel de Paris n’a pas explicitement écarté le comité d’entreprise de la liste des demandeurs recevables à la nomination d’un administrateur provisoire. Or, le comité d’entreprise ne tient d’aucune disposition légale le pouvoir d’exercer une action en justice lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause. La mission du comité est d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise. Elle lui vaut d’être « informé et consulté » sur les mesures de nature à affecter les effectifs, la durée ou les conditions de travail. Régulièrement informé et consulté, le comité ne dispose pas du pouvoir d’agir sur des décisions de gestion qui ne relèvent, selon la doctrine travailliste classique, que du chef d’entreprise. Ainsi, le comité d’entreprise s'est notamment vu refusé le droit de demander l'annulation de décisions adoptées par l'assemblée générale d’une mutuelle d'entreprise.
Comment, dès lors, interpréter la décision du 12 mai 2010 ? Faut-il y voir l’amorce d’une évolution prétorienne du droit du travail vers la possibilité donnée aux salariés de choisir ou de changer leurs dirigeants sous couvert d’entrave et d’atteinte, réelle ou supposée, à l'intérêt social ? Si tel est le cas, la marche sera sans doute encore longue et difficile.