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De la loyauté de la preuve

Par un arrêt rendu le 7 janvier 2011, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de réaffirmer qu'une juridiction civile ne peut fonder sa décision sur des enregistrements de conversations téléphoniques opérés à l'insu de l'auteur des propos, et l’a fait savoir par un communiqué de presse pour en souligner davantage la portée.

L’affaire concernait la procédure autonome d’entente prohibée poursuivie devant l'Autorité de la concurrence, à laquelle les dispositions du code de procédure civile et du code de commerce sont applicables, mais qui peut aboutir au prononcé de sanctions pécuniaires dont la nature les rapproche de sanctions pénales. De façon constante, les chambres civiles de la Cour de cassation, sur la base de l'article 9 du code de procédure civile et les articles 6 ou 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, prohibent l'utilisation, à titre de preuve, d'enregistrements de conversations téléphoniques ou vidéos faits à l'insu de leurs auteurs, en raison de leur caractère déloyal. La Cour d'appel de Paris avait cependant estimé, par son arrêt du 19 juin 2007 prononcé sur le recours des sociétés condamnées par l’Autorité aux termes de sa décision du 5 décembre 2005, que la procédure suivie en matière de concurrence dérogeait à cette règle ; la Cour avait donc appliqué la jurisprudence de la Chambre criminelle qui, se fondant sur les dispositions de l'article 427 du code de procédure pénale, juge que, dès lors qu'ils ne sont pas produits par des agents investis de la force publique, les moyens de preuve produits par les parties ne peuvent être écartés des débats au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; selon cette jurisprudence, il appartient seulement aux juges d'en apprécier la force probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire.

Or, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, cet arrêt avait été cassé le 3 juin 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au motif que l'"enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve". Sur renvoi de l’affaire devant une autre formation, la Cour d'appel de Paris a toutefois rendu, le 29 avril 2009, une décision identique à son premier arrêt, rejetant ainsi les recours des sociétés condamnées.  

Saisie de leur nouveau pourvoi, l'Assemblée plénière a donc une fois encore prononcé la cassation en invoquant les articles 9 du code de procédure civile et 6 §1 de la Convention de sauvegarde, mais aussi le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, affirmant avec force que "sauf disposition expresse contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence, et que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve".  


En statuant ainsi, la Cour de cassation manifeste son attachement au principe de la loyauté qui, selon elle, participe pleinement à la réalisation du droit fondamental de toute partie à un procès équitable et s'applique en tout domaine, y compris en droit de la concurrence, sous réserve de la spécificité attachée à la procédure pénale. Comme le précise son communiqué, si les enjeux économiques ne doivent pas être ignorés du juge, ils ne peuvent cependant le détourner de l'obligation de statuer suivant les principes fondamentaux qui fondent la légitimité de son action.