Comme nous en avions fait état dans notre Lettre publiée en mai 2010, trois arrêts rendus par les cours d’appel de Paris, Versailles et Colmar avaient, annulé les licenciements de salariés employés par des sociétés par actions simplifiées au motif que, prononcés par une personne autre que le représentant légal, ceux-ci n’étaient pas valables, même si cette personne disposait d’une délégation de pouvoir.
Cette interprétation exagérément stricte des textes avait suscité une grande mobilisation chez les spécialistes du droit des sociétés et du droit du travail, ainsi qu’un certain émoi chez les dirigeants des grandes entreprises organisées en SAS, forme juridique de plus en plus répandue.
On rappellera que dans la première affaire soumise à la censure de la Cour de cassation, le salarié, licencié pour faute grave, avait contesté la validité de son licenciement et obtenu gain de cause devant la cour d'appel de Versailles qui jugea, par un arrêt du 24 septembre 2009, que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse faute pour le responsable des ressources humaines d'avoir été désigné directeur général par les statuts de la SAS. Dans la seconde affaire, un salarié avait été licencié par une lettre signée du chef de secteur et du chef des ventes. La cour d'appel de Paris prononça, le 3 décembre 2009, la nullité du licenciement qui n’avait pas été prononcé par le président de la SAS ou par une personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier détenu par le seul président.
Par ses arrêts du 19 novembre 2010, la Chambre mixte de la Cour de cassation a cassé ces deux décisions au visa commun des articles L.227-6 du Code de commerce et L.1232-6 du Code du travail en affirmant que si la SAS est représentée à l'égard des tiers par son président, voire, si ses statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué, cette règle« n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise ». Ainsi, le principe de la délégation de pouvoir de licencier dans les SAS, qui semblait exclu par une lecture trop littérale des textes, est désormais clairement affirmé, ce qui met heureusement fin aux flottements nés de la jurisprudence des cours d'appel, et aux entraves au bon fonctionnement de ce type de sociétés, inutilement mis à mal.
La Cour de cassation a également saisi l'occasion de régler un certain nombre de difficultés relatives aux modalités de la délégation du pouvoir de licencier, laquelle peut être donnée par écrit, être tacite ou découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement. La lettre de licenciement "signée par la personne responsable des ressources humaines de la société, chargée de la gestion du personnel et considérée de ce fait comme étant délégataire du pouvoir de licencier " ne saurait donc être contestée pour la seule raison qu’elle ne serait pas signée par le représentant légal. En outre, quand bien même le délégataire aurait dépassé son pouvoir, l’employeur sera tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement. Ainsi, quoique la délégation de pouvoir ne prévoyait pas initialement un mandat du pouvoir de licencier, le fait que la société soutienne la validité et le bien-fondé du licenciement, tant par ses conclusions qu'oralement, suffit à caractériser sa volonté claire et non équivoque de ratifier la mesure adoptée par son préposé.
Beaucoup de bruit pour rien, en somme. L’exégèse juridique a des limites que la Cour de cassation elle-même, pour des raisons pratiques que l’on doit comprendre et partagée, est capable de surmonter..