On s’étonne souvent, en France, pour le déplorer ou s’en féliciter, de l’extrême générosité dont font preuve les juridictions américaines en matière de dommages et intérêts comparativement aux juridictions françaises, souvent tristement chiches. L’affaire Schlenzka, jugée le 1er décembre 2010 par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, témoigne de cette différence radicale de philosophie.
En l'espèce, les époux Schlenzka, américains domiciliés aux Etats-Unis, avaient obtenu de la Cour suprême de Californie, le 26 février 2003, une décision condamnant la société charentaise Fountaine Pajot, fabriquant de bateaux de plaisance, à leur verser une somme équivalant à environ 2,5 millions euros. Cette somme se décomposait en 1.050.000 euros pour la remise en état du catamaran fabriqué par cette société française (acheté 622.000 euros), 300.000 au titre de leurs frais d'avocats, et 1.100.000 euros à titre de dommages et intérêts punitifs. Puis les époux Schlenzka avaient demandé l'exequatur de cette décision en France afin de pouvoir procéder à son exécution.
Sur renvoi de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 22 mai 2007), la Cour d’appel de Poitiers avait cependant, par un arrêt du 26 février 2009, déboutés les requérants de leur demande d’exequatur au motif que la décision californienne contrevenait à l'ordre public international de fond pour leur avoir accordé, en plus du remboursement du prix du bateau et du montant des réparations, une indemnité qui dépassait très largement ces sommes. Pour la Cour d'appel, le montant des dommages et intérêts alloués était en effet manifestement disproportionné tant au regard du préjudice subi par les demandeurs que du manquement aux obligations contractuelles reproché à la société ; dès lors, le jugement étranger ne pouvait être reconnu en France.
Bien que, aux termes de son arrêt de rejet du 1er décembre 2010, la Cour de cassation ait énoncé que le principe d'une condamnation à des dommages et intérêts punitifs n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public, encore faut-il qu’ils ne soient pas, selon la motivation de la cour d’appel, « disproportionnés », ce qui laisse donc aux juges une certaine marge d’appréciation.
La crise de l’automne 2008 et les engagements politiques pris au niveau international à la suite de la première réunion du G20 ont largement contribué à la production législative, en France et ailleurs. Un nouvel exemple nous en est donné avec la loi du 22 octobre 2010 dite de régulation bancaire et financière (ou LRBF) publiée au Journal Officiel le 23 octobre, dont les dispositions viennent naturellement s’insérer au Code monétaire et financier.
Comme l’indiquait le sénateur Marini dans son rapport sur le projet de loi, cette crise est « avant tout la conséquence d'une 'démesure de la rationalité' financière et d'une croyance quasi-prométhéenne dans la maîtrise totale du risque par l'évaluation, la structuration et la modélisation probabiliste ». Derrière cette envolée, le rapporteur entendait donc placer l'étude du texte sous l’angle du risque à juguler, la loi visant à répondre à deux objectifs majeurs: d'une part, remédier aux causes de la crise en instituant un encadrement juridique approprié impliquant la supervision des acteurs et des marchés financiers ; d'autre part, pallier, dans la mesure du possible, les effets de la crise en soutenant le financement de l'économie « réelle » pour accompagner la reprise. Au-delà des formules fortes et des pétitions de principe proclamées du haut des tribunes et devant les caméras de télévision, on sait que la remise en cause par la crise des modèles nationaux de régulation, notamment de l'approche sectorielle et segmentée des Etats-Unis et de l'approche unifiée et très axée sur la compétitivité de la place du Royaume-Uni, n’aboutira à un changement profond et efficace que si la volonté de réforme et de convergence s’exprime de manière sincère et unanime au niveau des Etats.
Texte foisonnant qui entrera en vigueur le 1erjanvier 2011, la loi du 22 octobre 2010 est assez ambitieuse. Entre autres choses, elle instaure un Conseil de régulation financière et du risque systémique, renforce les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers, crée une procédure de sauvegarde financière accélérée, encadre les produits dérivés, les ventes à découvert, les frais bancaires, élargit la définition de l’action de concert, régule le marché au comptant des quotas d’émission de gaz à effet de serre, etc. S’agissant particulièrement des agences de notation du crédit, dont le rôle – utile - a été parfois décrié pour des raisons démagogiques, relevons que la nouvelle loi établit clairement la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle de ces agences, dont les activités seront désormais plus sévèrement contrôlées par l’Autorité des marchés financiers, dès lors que leurs fautes ou manquements dans la mise en œuvre de leurs obligations définies par le législateur européen a des conséquences dommageables à l’égard des tiers (art. L.544-5 al.1 CMF), toute clause de décharge de responsabilité étant interdite et réputée non écrite (art.544-6).
On le voit encore une fois ici, si la crise est récente, les grands principes du droit de la responsabilité inscrits dans le Code civil au début du règne de Napoléon Ier trouvent toujours à s’appliquer.
Comme évoqué à l’article précédent, la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 vient d’instituer la SFA, ou « sauvegarde financière accélérée », qui entrera en vigueur le 1er mars 2011.
A mi-chemin entre les procédures amiables et collectives de traitement des difficultés des entreprises, ce nouveau dispositif devrait permettre aux dirigeants d’accélérer la restructuration financière de leur entreprise sans perturber son activité commerciale puisque les fournisseurs n’en seront pas affectés.
Les conditions d’ouverture de cette SFA sont toutefois assez restrictives : primo, l’entreprise doit déjà bénéficier d’une procédure de conciliation entamée avec ses créanciers financiers (établissements de crédit, créanciers obligataires, etc.) ; secundo, ne pas se trouver en état de cessation des paiements (ce qui n’est pas le cas en matière de conciliation) ; tertio, être dotée de comités de créanciers (obligatoires au-delà de 150 salariés ou de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires) ; quarto, avoir obtenu le soutien de la majorité qualifiée (2/3) des créanciers financiers sur son plan.
Sa durée limitée dans le temps - un mois renouvelable une seule fois - implique que la SFA servira en fait principalement à obtenir et enregistrer l’adhésion de créanciers minoritaires récalcitrants à un accord de conciliation préalablement négocié.
Cette réforme est cependant novatrice car elle va à l’encontre d’un des principes fondamentaux du droit des procédures collectives, à savoir l’égalité de traitement des créanciers.
L’accueil des établissements de crédit, déjà généralement hostiles à la sauvegarde classique, ne sera sans doute pas des plus favorables à la SFA puisque ce dispositif leur imposera le gel de leurs créances alors les autres créanciers de l’entreprise (fournisseurs, Trésor, organismes sociaux, etc.) continueront d’être payés dans les conditions habituelles.
Si la volonté initiale du législateur, telle qu’elle résulte de son projet soumis à consultation en août dernier, était de faciliter par la loi le sauvetage des PME, on assiste finalement à la mise en place un « prepack plan » issu tout droit du Chapter 11 américain et destiné à préserver l’exploitation d’entreprises d’une certaine taille ayant fait l’objet de montages financiers audacieux, voire dangereux, au cours des dernières années.
On peut penser, en outre, que cette SFA tendra encore un peu plus les relations difficiles entre les fonds d’investissements et les banques, ces dernières pouvant être de plus en plus tentées de convertir leurs créances en titres de capital.
La vacance de la direction d’une entreprise, si elle s'accompagne de dissensions entre associés paralysant la désignation d'un nouveau dirigeant, peut l’exposer à un risque fatal. Dans ces circonstances, il est d’usage qu’un administrateur provisoire soit désigné en justice, par exemple à la demande des actionnaires. Il est extraordinaire, en revanche, que, pour prévenir d’éventuelles difficultés à venir liées à des décisions de gestion passées, un comité d’entreprise saisisse un juge en vue d’obtenir la nomination d’un administrateur provisoire chargé d’exercer le pouvoir aux lieu et place des dirigeants en place. C’est pourtant ce qui est arrivé, courant 2009, à une association exploitant des centres de santé et employant de nombreux salariés.
En l’espèce, son comité d’entreprise s’alarmait de certains actes de gestion qu'il estimait contraires à l'intérêt de l'association. Fort d’un rapport d’expertise comptable qui stigmatisait ces actes, du déclenchement de la procédure d’alerte et prétextant, au surplus, un délit d’entrave, le comité avait alors, par simple requête soutenue sans débat contradictoire, obtenu la nomination d'un administrateur provisoire, privant ainsi instantanément les organes sociaux de toutes leurs prérogatives. Plus étonnant encore, le juge avait accepté d’étendre la mission de l’administrateur à la refonte des statuts de l’association en vue de l’ouvrir à des nouveaux membres et installer un conseil d’administration supposé « plus démocratique ». En déboulonnant la direction avec l’aide de la justice, le comité visait en fait à permettre aux organisations syndicales d’accéder au futur conseil d’administration de l'association et in fine à y instaurer une forme de cogestion.
Saisi en référé par le président évincé, le juge refusa de revenir sur son ordonnance au motif, de pure procédure, que l’administrateur provisoire avait désormais seul qualité à agir au nom de l’association ! Heureusement, par un arrêt du 12 mai 2010, la Cour d’appel de Paris mit un terme à cette parodie en prononçant la rétractation de cette décision et, par conséquent, l’annulation de la mission de l’administrateur provisoire, jugeant que rien ne justifiait en l’occurrence que le principe du contradictoire n’ait pas été respecté.
Formellement, la nomination d’un administrateur provisoire est généralement demandée devant le juge des référés dont la compétence, comme le prévoit le code de procédure civile, est fondée sur l’urgence, la nécessité de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite. En la matière, la preuve de l’existence d’un risque de dommage imminent est toujours exigée. On peut parfois admettre qu’il n’y ait pas de débat, le juge saisi sur requête devant alors prendre le soin de vérifier que la mesure demandée nécessite bien qu’il soit dérogé au principe du contradictoire et du respect des droits de la défense. Tel n’était manifestement pas le cas ici.
Sur le fond, cette affaire posait cependant deux problèmes qui n’ont pas été franchement tranchés, l’irrégularité de la procédure ayant fourni à la Cour un motif suffisant pour prendre sa décision de rétractation. Le premier, courant, concernait la justification de la mesure de désignation d’un administrateur provisoire ; le second, plus original, celui de la qualité et de l’intérêt à agir du comité d’entreprise.
La jurisprudence habituelle de la Cour de cassation subordonne la nomination d’un administrateur provisoire à la double condition que les circonstances rendent impossible le fonctionnement normal de la société et menacent celle-ci d’un péril imminent. Un tel dysfonctionnement se rencontre notamment lorsqu’il ne peut être pourvu au remplacement des dirigeants selon les modalités légales ou statutaires ; encore faut-il que la société (ou ici de l’association) soit confrontée à un péril imminent en résultant.
A l’aune de cette formulation, la nomination d’un administrateur provisoire doit donc demeurer exceptionnelle puisqu’elle a pour effet de substituer un mandataire de justice aux organes sociaux légitimes. Si une solution alternative existe pour rétablir la gouvernance régulière de l’entreprise, telle que l'intervention d'un mandataire ad hoc chargé d’une mission limitée comme la convocation d’une assemblée générale, elle doit être préférée. En outre, une mesure d’administration provisoire ne peut se comprendre que si la crise de gouvernance est temporaire et surmontable. Dans le cas contraire, la pérennité même de la société serait en cause et sa dissolution à l’ordre du jour.
S’agissant du deuxième problème, la Cour d’appel de Paris n’a pas explicitement écarté le comité d’entreprise de la liste des demandeurs recevables à la nomination d’un administrateur provisoire. Or, le comité d’entreprise ne tient d’aucune disposition légale le pouvoir d’exercer une action en justice lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause. La mission du comité est d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise. Elle lui vaut d’être « informé et consulté » sur les mesures de nature à affecter les effectifs, la durée ou les conditions de travail. Régulièrement informé et consulté, le comité ne dispose pas du pouvoir d’agir sur des décisions de gestion qui ne relèvent, selon la doctrine travailliste classique, que du chef d’entreprise. Ainsi, le comité d’entreprise s'est notamment vu refusé le droit de demander l'annulation de décisions adoptées par l'assemblée générale d’une mutuelle d'entreprise.
Comment, dès lors, interpréter la décision du 12 mai 2010 ? Faut-il y voir l’amorce d’une évolution prétorienne du droit du travail vers la possibilité donnée aux salariés de choisir ou de changer leurs dirigeants sous couvert d’entrave et d’atteinte, réelle ou supposée, à l'intérêt social ? Si tel est le cas, la marche sera sans doute encore longue et difficile.
Le sort du cautionnement donne toujours lieu à un abondant contentieux dans le domaine des procédures collectives. En voici une nouvelle illustration résultant d’un arrêt récent de la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendu sous l’empire de la loi de sauvegarde qui, contrairement à ce que prévoyait la législation antérieure, ne sanctionne plus l’absence d’admission d’une créance par son extinction, mais seulement par son inopposabilité. Selon l’article L.622-26 du code de commerce, « à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste [des créanciers]. » Le cautionnement n’est donc pas plus éteint que la créance elle-même et, sous réserve de la situation particulière de la période d’observation et du plan de sauvegarde, le créancier dont la créance n’est pas admise peut néanmoins poursuivre la caution.
Dans le cas d’espèce, une SCI, propriétaire d’un immeuble loué à une société commerciale mise en liquidation judicaire, avait omis de déclarer sa créance de loyers impayés entre les mains du liquidateur dans le délai légal et n’avait pas été relevée de la forclusion ; elle demanda néanmoins aux cautions solidaires de payer et obtint gain de cause par un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 12 août 2009 ; les cautions formèrent alors un pourvoi contre cette décision, lequel fut rejeté par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 juillet 2011.
Les arguments des cautions ne manquaient pourtant pas de pertinence. Elles soutenaient que, faute d'avoir déclaré sa créance au passif du débiteur principal, la SCI n’était pas fondée à agir contre elles puisque les cautions peuvent se prévaloir de toute exception inhérente à la dette ; l'article L. 622-26 prévoyant que les créanciers forclos ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes, les cautions se trouvent déchargées en vertu de l’article 2314 du code civil dès lors qu’elles ne peuvent plus, du fait du créancier étourdi, bénéficier de la subrogation dans son droit exclusif ou préférentiel lui conférant un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance. On sait en effet que, selon ce texte, « la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution », toute clause contraire étant réputée non écrite.
La Courde cassation a adopté, en l’occurrence, un raisonnement différent. Après avoir rappelé que la sanction d’inopposabilité prévue par l'article L. 622-26 ne constitue pas une exception inhérente à la dette susceptible d'être invoquée par la caution pour se soustraire à son engagement, elle ajoute que si la caution est déchargée lorsque la subrogation ne peut plus, par le fait du créancier, s'opérer en sa faveur, encore faut-il que la caution puisse tirer un avantage effectif de la subrogation dans les répartitions et dividendes. Or tel n’aurait pas été le cas en l’espèce où le liquidateur avait lui-même écrit que les créanciers chirographaires de la société liquidée ne seraient pas réglés, si bien que la subrogation n’aurait eu aucun effet utile pour les cautions…
Ne doutons pas qu’en apportant cette précision concrète qui semble s’éloigner du principe posé par la lettre de l’article 2314 du code civil, cet arrêt appellera de nombreux commentaires.
Quoiqu’elle puisse, dans certains cas prévus par la loi, être instituée par la volonté d’une seule personne, l’article 1832 du Code civil, bien connu des étudiants en droit, pose en principe que la société est un contrat par lequel « deux ou plusieurs personnes […] conviennent d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ». Cette volonté de participer à l'entreprise commune suppose une entente, ou affectio societatis, qui doit non seulement s'exprimer entre les associés lors de la création de la société, mais encore tout au long de son existence. Aussi, lorsque la dégradation de leurs relations altèrent durablement la bonne marche de la société au point de mettre en cause sa pérennité même – ce qui, en fait, ne peut advenir que dans les sociétés de personnes comme les SCP où l’intuitu personae et l’apport en industrie sont essentiels -, différentes techniques juridiques permettent de remédier à ces situations : parfois, le retrait ou l’exclusion d’un associé pourront être envisagés pour maintenir l’existence de la société en dépit de la mésentente des associés; dans les cas les plus sérieux, si cette mésentente conduit à une véritable paralysie du fonctionnement normal de la société, une décision de dissolution judiciaire anticipée s’imposera.
Ne nous attardons pas sur la notion de mésentente dont le demandeur à la dissolution ne doit naturellement pas être à l’origine. Celle-ci ne doit d’ailleurs pas se confondre avec celles d’abus de majorité ou de minorité, qui peuvent donner lieu à des sanctions ou décisions adaptées sans pour autant attenter à la vie de la société. C’est sur les effets de la mésentente qu’il convient, en revanche, de s’appesantir un instant. A quelques notables exceptions près, la jurisprudence a toujours considéré, comme la Chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 16 décembre 2005, que la dissolution ne devait être prononcée que si la mésentente et la disparition corrélative de l'affectio societatis entravent la bonne marche de la société en en paralysant le fonctionnement. C’est ce que vient de rappeler la 3ème Chambre civile aux termes de sa décision du 16 mars 2011 rendu à propos d’une affaire qui opposait deux ex-concubins associés dans une SCI.
On pourra toujours tenter de soutenir que la disparition de l’affectio societatis est susceptible de provoquer la paralysie sociale en bloquant les mécanismes de décision de la société, mais force est d’admettre que cette dernière jurisprudence ne va pas dans ce sens puisque, en l’espèce, la mésentente pourtant avérée des associés n’a pas eu pour conséquence un blocage des organes sociaux, seule situation capable d’empêcher la poursuite de l'activité, cette appréciation relevant en toute hypothèse des juges du fond.
Comme nous en avions fait état dans notre Lettre publiée en mai 2010, trois arrêts rendus par les cours d’appel de Paris, Versailles et Colmar avaient, annulé les licenciements de salariés employés par des sociétés par actions simplifiées au motif que, prononcés par une personne autre que le représentant légal, ceux-ci n’étaient pas valables, même si cette personne disposait d’une délégation de pouvoir.
Cette interprétation exagérément stricte des textes avait suscité une grande mobilisation chez les spécialistes du droit des sociétés et du droit du travail, ainsi qu’un certain émoi chez les dirigeants des grandes entreprises organisées en SAS, forme juridique de plus en plus répandue.
On rappellera que dans la première affaire soumise à la censure de la Cour de cassation, le salarié, licencié pour faute grave, avait contesté la validité de son licenciement et obtenu gain de cause devant la cour d'appel de Versailles qui jugea, par un arrêt du 24 septembre 2009, que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse faute pour le responsable des ressources humaines d'avoir été désigné directeur général par les statuts de la SAS. Dans la seconde affaire, un salarié avait été licencié par une lettre signée du chef de secteur et du chef des ventes. La cour d'appel de Paris prononça, le 3 décembre 2009, la nullité du licenciement qui n’avait pas été prononcé par le président de la SAS ou par une personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier détenu par le seul président.
Par ses arrêts du 19 novembre 2010, la Chambre mixte de la Cour de cassation a cassé ces deux décisions au visa commun des articles L.227-6 du Code de commerce et L.1232-6 du Code du travail en affirmant que si la SAS est représentée à l'égard des tiers par son président, voire, si ses statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué, cette règle« n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise ». Ainsi, le principe de la délégation de pouvoir de licencier dans les SAS, qui semblait exclu par une lecture trop littérale des textes, est désormais clairement affirmé, ce qui met heureusement fin aux flottements nés de la jurisprudence des cours d'appel, et aux entraves au bon fonctionnement de ce type de sociétés, inutilement mis à mal.
La Cour de cassation a également saisi l'occasion de régler un certain nombre de difficultés relatives aux modalités de la délégation du pouvoir de licencier, laquelle peut être donnée par écrit, être tacite ou découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement. La lettre de licenciement "signée par la personne responsable des ressources humaines de la société, chargée de la gestion du personnel et considérée de ce fait comme étant délégataire du pouvoir de licencier " ne saurait donc être contestée pour la seule raison qu’elle ne serait pas signée par le représentant légal. En outre, quand bien même le délégataire aurait dépassé son pouvoir, l’employeur sera tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement. Ainsi, quoique la délégation de pouvoir ne prévoyait pas initialement un mandat du pouvoir de licencier, le fait que la société soutienne la validité et le bien-fondé du licenciement, tant par ses conclusions qu'oralement, suffit à caractériser sa volonté claire et non équivoque de ratifier la mesure adoptée par son préposé.
Beaucoup de bruit pour rien, en somme. L’exégèse juridique a des limites que la Cour de cassation elle-même, pour des raisons pratiques que l’on doit comprendre et partagée, est capable de surmonter..
Par un arrêt rendu le 7 janvier 2011, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de réaffirmer qu'une juridiction civile ne peut fonder sa décision sur des enregistrements de conversations téléphoniques opérés à l'insu de l'auteur des propos, et l’a fait savoir par un communiqué de presse pour en souligner davantage la portée.
L’affaire concernait la procédure autonome d’entente prohibée poursuivie devant l'Autorité de la concurrence, à laquelle les dispositions du code de procédure civile et du code de commerce sont applicables, mais qui peut aboutir au prononcé de sanctions pécuniaires dont la nature les rapproche de sanctions pénales. De façon constante, les chambres civiles de la Cour de cassation, sur la base de l'article 9 du code de procédure civile et les articles 6 ou 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, prohibent l'utilisation, à titre de preuve, d'enregistrements de conversations téléphoniques ou vidéos faits à l'insu de leurs auteurs, en raison de leur caractère déloyal. La Cour d'appel de Paris avait cependant estimé, par son arrêt du 19 juin 2007 prononcé sur le recours des sociétés condamnées par l’Autorité aux termes de sa décision du 5 décembre 2005, que la procédure suivie en matière de concurrence dérogeait à cette règle ; la Cour avait donc appliqué la jurisprudence de la Chambre criminelle qui, se fondant sur les dispositions de l'article 427 du code de procédure pénale, juge que, dès lors qu'ils ne sont pas produits par des agents investis de la force publique, les moyens de preuve produits par les parties ne peuvent être écartés des débats au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; selon cette jurisprudence, il appartient seulement aux juges d'en apprécier la force probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire.
Or, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, cet arrêt avait été cassé le 3 juin 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au motif que l'"enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve". Sur renvoi de l’affaire devant une autre formation, la Cour d'appel de Paris a toutefois rendu, le 29 avril 2009, une décision identique à son premier arrêt, rejetant ainsi les recours des sociétés condamnées.
Saisie de leur nouveau pourvoi, l'Assemblée plénière a donc une fois encore prononcé la cassation en invoquant les articles 9 du code de procédure civile et 6 §1 de la Convention de sauvegarde, mais aussi le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, affirmant avec force que "sauf disposition expresse contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence, et que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve".
En statuant ainsi, la Cour de cassation manifeste son attachement au principe de la loyauté qui, selon elle, participe pleinement à la réalisation du droit fondamental de toute partie à un procès équitable et s'applique en tout domaine, y compris en droit de la concurrence, sous réserve de la spécificité attachée à la procédure pénale. Comme le précise son communiqué, si les enjeux économiques ne doivent pas être ignorés du juge, ils ne peuvent cependant le détourner de l'obligation de statuer suivant les principes fondamentaux qui fondent la légitimité de son action.